
Lorsque Simone Weil, arrivée à Marseille, se tourne résolument et ouvertement vers la question religieuse, un long chemin se profile devant elle. Bien qu’attirée par le catholicisme et aimant les offices qui se déroulent dans les églises, elle éprouve des difficultés certaines à épouser les us et coutumes du monde religieux, le vocabulaire aussi. Sa manière de penser, les alliances d’images de sa vie intérieure, ne rencontrent pas les catégories familières au monde chrétien.
Il en va ainsi pour le mot et la notion de « grâce » dont elle se plut dans les années 30 à souligner l’ambiguïté tout en ajoutant que c’est là « le plus beau mot… » (OC VI.1, p. 89).
Son ignorance du monde hébraïque (son refus de le connaître, doit-on préciser) a pour conséquence l’élimination en ce qui concerne la notion de grâce de toutes les nuances qui, pour l’évoquer, font appel à plusieurs mots différents, à savoir les mots hen (montrer de la faveur pour quelqu’un), hesed (qui crée l’obligation de l’assistance réciproque), emet (solidité des engagements), rahamim (tendresse de cœur) et sedeq (justice inépuisable).
Tout son amour se portant vers l’hellénisme et donc la langue grecque, c’est la charis grecque qu’elle interroge. Des deux sens principaux que véhicule ce terme, on choisit ici celui de don gratuit, aux dépens de celui de charme (séduction ravissement, rapt) dont Simone Weil fit aussi un ample usage (complémentaire du premier) via le mythe de Proserpine.
Pour comprendre les raisons de l’usage que la philosophe fit de ce terme de chlorophylle, emprunté à la science biologique, on examinera trois points : Tout d’abord, ce qui tombe sous l’évidence, à savoir l’intérêt pour cette science; en second lieu, on passera en revue les images et mythes platoniciens qui ont concouru à l’émergence de cette image biologique. Enfin on abordera ce que j’aimerais appeler le grand jeu analogique auquel se prêta avec tant de virtuosité tout au long de ses écrits Simone Weil.
L’image chlorophyllienne de la grâce chez Simone Weil